On m'a demandé plusieurs fois récemment de différencier ce que je mettrais dans le programme d'informatique selon les niveaux scolaires, mais je pense que nous n'en sommes pas encore là. Je pense qu'il faut considérer l'informatique pour ce qu'elle est : une discipline nouvelle. Pour l'instant, il ne faut pas penser en niveau scolaire, mais en années de pratique, comme au ski. Qui décrirait les compétences de ski à atteindre en 6ième ? Ça n'a pas de sens, ça dépend si c'est votre première ou cinquième année. Et bien c'est pareil en informatique. Tant que tous les élèves au bac n'auront pas fait le programme d'informatique de CE2, il faudra qu'ils le fassent à ce moment là. Tant pis si c'est un peu simple pour eux conceptuellement.

Au niveau où j'enseigne habituellement (BAC+2, à des entrants en école d'ingénieurs en informatique), nous sommes en train de réaliser que nos premiers cours classiques, d'initiation pour débutants absolus en programmation, ne sont plus nécessaires car ils ont maintenant lieu en prépa ou au bac ISN. Il faut gérer la transition car tous nos élèves n'ont pas bénéficié de ces cours, mais ça ne va pas durer. Et puis d'ici peu, les enseignants de ces niveaux devront faire de même quand l'initiation aura été faite en seconde. Ils pourront alors aller plus loin, sur l'étude des algorithmes classiques comme les tris et la récursivité, ce qui nous permettra à nous d'aller encore plus loin sur des algorithmes plus complexes ou autre.

Et quand tous les étudiants auront fait de l'informatique depuis la primaire, on pourra enfin aborder à l'université des problèmes du même niveau de difficulté que nos collègues des autres disciplines qui n'ont pas à initier leurs élèves. Enfin. J'ai hâte de pouvoir expliquer ce qu'est une horloge de Lamport voire la hiérarchie de Herlihy en début de licence. Ce n'est finalement pas tellement plus compliqué qu'un espace vectoriel ou que le cycle de Krebs, si?


Si le sujet vous intéresse et que vous souhaitez aller plus loin, j'ai écrit d'autres billets sur ce sujet l'an passé.

Je suis toujours persuadé qu'il faut apprendre l'informatique à tous pour des tas de raisons. Pour faire très vite, c'est bon pour le développement personnel, ça permet de mieux s'insérer dans notre monde devenu numérique et ça permet à notre pays de rester dans la course.

L'enseignement de l'informatique s'inscrit dans un mouvement un peu plus large en faveur de l'enseignement du numérique à tous, qui nécessite différents types d'enseignements assez différents. Il faut de la technicité pour savoir utiliser un ordinateur. Cela peut s'acquérir grâce à des TICE. Il faut savoir obtenir, appréhender, classer et vérifier des informations, ce qui est de l'infocom. Et il faut donc de l'informatique, qui est à mon avis la science de l'abstraction. On y apprend à rationaliser ses chemins de pensée, à terraformer ses idées pour les rendre mécanisables et pouvoir ainsi tirer parti de la grande vitesse de calcul des ordinateurs. Tout ceci pose également des problèmes d'éthique intéressants, qu'un citoyen éclairé ne peut plus ignorer. Voilà ce qu'il faudrait que tout les honnêtes gens sachent au 21ième siècle. Perso, ma légitimité académique se borne à l'informatique. On fait skonpeu.

Les choses ont pas mal bougé en un an, et dans le bon sens. Certes, le scénario à la britannique que j'espérais ne s'est pas concrétisé : nous n'avons pas assisté à une massification des cours d'informatique en périscolaire pendant un temps avant une introduction de la discipline dans le système éducatif normal. Je ne sais pas trop pourquoi d'ailleurs. C'est probablement la preuve que même en périscolaire et en s'appuyant sur beaucoup de bonnes volontés, il faut un minimum de moyens pour passer à l'échelle d'un pays. Ou bien est-ce parce que les enseignants d'informatique [du supérieur] n'ont pas aussi bien su se mobiliser en France qu'au Royaume Uni?

Peu importe, finalement, car nous sommes passés directement à la seconde étape de l'introduction de la discipline dans les programmes officiels. Le 26 novembre dernier sont sortis les programmes d'enseignement de l'école élémentaire et du collège. Il y a énormément d'infocom, afin que les élèves «apprennent à chercher des informations et à interroger l'origine et la pertinence de ces informations dans l'univers du numérique», ce qui me semble effectivement une mission importante pour le système scolaire aujourd'hui. Beaucoup de maîtrise de l'outil informatique aussi. C'est bien, je suis content que la légende débile des Digital Natives perde de la vitesse. Maîtriser les outils demande des apprentissages spécifiques, quels que soient les outils.

Coté éthique, il est surtout question de respecter les consignes de sécurité. Les décideurs n'avaient pas besoin de l'état d'urgence pour rester bloqués sur l'internet sans crainte. C'est une vision nécessaire car on trouve des sales cons en ligne comme ailleurs, mais on ne devrait pas se contenter de cette facette. Internet est une chose merveilleuse au potentiel incroyable, aussi.

Il faut attendre le cycle 4 (5ième-3ième) pour avoir un peu d'informatique sous la forme d'algorithmique et de programmation. Je pense qu'on pourrait être un peu plus ambitieux. J'ai appris en CM1 à programmer des petits dessins sur ordinateur avec Logo, et ça marchait pour nous tous. Les tortues Jeulin étaient même déployées en maternelle. Les programmer aidait les enfants à se repérer dans leur espace. Les tests en cours de La Main à la Pâte montrent que des activités d'informatique branchées ou débranchées marchent très bien dès le début du primaire.

Mais ne boudons pas notre plaisir, c'est une réelle avancée que l'algorithmique et la programmation fassent leur entrée dès la 5ième dans les programmes officiels : de 1995 à 2010, il fallait attendre le supérieur pour cela. Reste maintenant à accompagner les enseignants de collège sur ce nouveau défi, ce qui n'est pas rien. Après, les profs d'ISN vont nous piquer nos contenus de BAC+2 une fois de plus, et nous irons encore plus loin.

Jusqu'aux horloges de Lamport et au delà!